Les personnages dont je voudrais parler sont peut-être bien connus. Mais leur histoire commune l’est moins. Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter :

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Coccinelle à 7 points (Coccinella septempuctata)
  • La coccinelle, aimée de tous, ambassadrice de la cause des insectes « pas-si-dégoûtants-et-même-plutôt-mignons ».

    Fourmi_f
    Fourmi (Lasius emarginatus)
  • La fourmi, de réputation plus controversée mais dont on reconnaît volontiers l’assiduité au travail, entièrement dévouée à sa communauté, dont la vie en société organisée et complexe en fascine plus d’un.

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    Forme aptère (sans aile) et forme ailée d’un puceron (ici, Acyrthosiphon pisum)
  • Le puceron, terreur des jardiniers et de leurs petites protégées végétales, nettement moins apprécié que nos précédents protagonistes. Mais qui vous allez le voir, ne jouera pas que le mauvais rôle dans cette histoire.

jardin_fL’histoire se passe dans un jardin. En ce début de printemps, la matinée s’y annonce douce et lumineuse. Au pied d’un muret de pierre, un petit massif de Spirée est prêt à fleurir. Feuilles, tiges et boutons floraux, sont chargés d’humidité, et abritent ici et là des œufs, eux aussi prêts à éclore. Progressivement en sortent plusieurs larves de pucerons, toutes des femelles que l’on appellera les « fondatrices » (On se croirait dans un roman de science-fiction). Celles-ci seront rapidement capables de mettre au monde à leur tour de nouvelles femelles pucerons, et sans aucune intervention des mâles. C’est le miracle de la parthénogénèse1 : ces femelles pucerons sont en fait capables de produire… des clones ! (Dîtes donc, mais c’est qu’on croirait vraiment de la science-fiction) Et voici révélé le secret de leur grande capacité de prolifération printanière.

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Naissance d’un puceron par parthénogénèse. Le mode de reproduction, ici, est vivipare c’est-à-dire que la larve se forme directement à l’intérieur de la femelle et naît sans la protection d’un œuf (comme chez les humains)

En attendant de poursuivre le clonage et la conquête de nouveaux territoires, nos pucerons ont faim. Ils dégainent donc un appareil buccal tout en finesse et en longueur, le rostre, afin de percer les tissus végétaux assez profondément pour atteindre les vaisseaux et aspirer la sève. Ce sont des insectes suceurs-piqueurs. Ils se nourrissent et c’est légitime après tout, non ? Oui, mais voilà, en plus d’abuser sur la sève, ils favorisent le développement d’un champignon (la fumagine) et il arrive qu’ils transmettent des virus à la plante. On peut dire que nos pucerons agissent dans leur propre intérêt aux dépens du bien-être de la plante. Nous assistons donc, mesdames et messieurs, à un authentique cas de parasitisme2.

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Et c’est là ! Au moment où nous nous sentons impuissants face à la barbarie d’un tel attroupement de pucerons assoiffés de sève, ponctionnant allègrement cette pauvre Spirée sans défense, que surgit depuis les airs, d’un vol puissant et vrombissant, la coccinelle ! Parée de ses élytres rouges flamboyantes à points noirs, la coccinelle est ce redoutable monstre « capable d’engloutir 50 petits pucerons en une journée !» dont parlent toutes les légendes racontées aux petites larves de pucerons pour s’endormir le soir. Sous ses airs d’inoffensive et coquette demoiselle, la coccinelle est en fait un dangereux prédateur3…dans le monde des pucerons ! (Oui, car voyez-vous tout est une question de point de vue). Mais elle n’est pas la seule terreur des foyers pucerons : la larve de coccinelle, de syrphe ou encore la larve de chrysope, toutes carnivores, opèrent avec autant de voracité.

 

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Larve de coccinelle

Cette histoire pourrait se terminer sur la longue et bruyante éructation d’une coccinelle repue. Oui, mais ce serait sans compter un pacte, un « échange de bons procédés », que proposa un jour la fourmi au puceron. En présence d’un danger, les pucerons sécrètent des phéromones d’alerte par des « cornicules » placées sur leur dos. Ces phéromones sont captées par les fourmis qui se mettent aussitôt à chercher et attaquer le prédateur. Les pucerons qui, d’ordinaire, se seraient éparpillés et laissés tomber au bas de la plante afin d’améliorer leurs chances de survie, adoptent une toute autre technique en présence des fourmis protectrices : ils se rassemblent tel un troupeau, et sont ainsi plus faciles à protéger.

D’accord ! Me direz-vous, mais pourquoi diable ces fourmis perdraient-elles de leur précieux temps et énergie à protéger ces insignifiants parasites ? Hé bien, nos suceurs de sève, rejettent, après digestion, cette substance sucrée : le miellat, très apprécié des fourmis qui ne se privent pas de « traire » les pucerons, c’est-à-dire de les palper jusqu’à expulsion du miellat. Ce sont un peu leurs brebis laitières… qu’il faudrait protéger du loup. En biologie, on parle d’une relation de mutualisme4.

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Ce mécanisme de défense pour les pucerons est efficace contre les prédateurs directs tels que les coccinelles, leur larves, les larves de syrphes ou de chrysopes. Malheureusement pour eux (et heureusement pour « nous, les jardiniers »), il existe une autre sorte de prédateurs, plus sournois, aux motivations plus subtiles, que l’on appelle les parasitoïdes5. Mais ça, c’est une autre histoire !

THE END

N.B.: Sachez que chacun des « personnages » que j’ai pu citer : fourmi, puceron, coccinelle, pourrait en fait appartenir à plusieurs espèces différentes. Il existe aujourd’hui plus de 3000 espèces de coccinelles répertoriées (Famille des Coccinellidae – ordre des Coléoptères6), plus de 12000 espèces de fourmis connues (Famille des Formicidae – ordre des Hyménoptères7) et 4700 espèces de pucerons (Super-famille des Aphidoidea – ordre des Hémiptères8). Quelques chiffres, juste pour rappeler que ces termes génériques cachent une diversité étonnante !


1parthénogénèse : phénomène par lequel un œuf non fécondé donne naissance à un ou plusieurs individus. Il s’agit donc bien pour une femelle de donner naissance à un autre individu sans l’intervention d’un mâle. Il est bien connu des biologistes chez de nombreuses espèces animales, en particulier les insectes.

2parasitisme : C’est une relation biologique entre deux êtres vivants et où l’un des protagonistes (le parasite) tire profit (en se nourrissant, en s’abritant ou en se reproduisant) aux dépens de l’autre (l’hôte).

3prédation : L’acte d’un animal ou végétal, un prédateur, capturant ou se nourrissant d’un autre organisme, la proie, appartenant à une espèce différente et en général plus petite. La prédation est une interaction biologique qui joue un rôle important dans la régulation des effectifs des proies et des prédateurs.

4mutualisme : C’est une interaction entre espèces se révélant être bénéfique pour les deux protagonistes.

5Les parasitoïdes nuisent à leur hôte par l’intermédiaire de leurs larves. Celles-ci se développent souvent à l’intérieur de l’hôte (ici le puceron adulte), et le tuent une fois leur développement larvaire achevé. Les principaux organismes parasitoïdes de pucerons sont des hyménoptères (petites abeilles) mais c’est également le cas d’acariens et d’un diptère (famille des mouches et moustiques).

6Coléoptères : Parmi la classe des insectes, c’est l’ordre comprenant le plus d’espèces (environ 1 millions). Il regroupe, par exemple, les coccinelles, les scarabées, les cétoines, les hannetons, les charançons… Leur nom provient du grec koléos (fourreau) et pterón (aile). On les reconnaît à leur carapace formée par une première paire d’ailes durcifiée appelée « élytres ». La deuxième paire d’ailes, leur permettant de voler, est membraneuse.

7Hyménoptères : Ordre d’insecte regroupant, pour ne citer que les plus connus, abeilles, guêpes, bourdons, frelons, fourmis… Du grec ancien umên (membrane) et pterón (ailes), le nom de ce groupe d’insectes fait référence à leurs deux paires d’ailes membraneuses.

8Hémiptères : Ordre d’insectes regroupant notamment, les pucerons, les cigales, les cochenilles, les punaises et les gendarmes. La diversité de formes est grande au sein de cet ordre, mais toutes les espèces possèdent des pièces buccales piqueuses. Du grec hêmi (demi) et pterón (aile), ce nom fait référence à la première paire d’aile, appelée « hémi-élytre » car elle n’est pas complètement rigide.


Pour aller plus loin :

Article sur les pucerons dans la revue Insecte :

https://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i141fraval1.pdf

Informations détaillée sur le site de l’INRA :

  • Généralités et reconnaissance des espèces de pucerons :

https://www6.inra.fr/encyclopedie-pucerons/Especes/Pucerons

  • Plusieurs petites vidéos illustrant le cycle biologique des pucerons (éclosion d’un œuf, parthénogénèse, accouplement, ponte ) :

https://www6.inra.fr/encyclopedie-pucerons/Qu-est-ce-qu-un-puceron/Cycles-biologiques

  • Mutualisme entre fourmis et pucerons :

https://www6.inra.fr/encyclopedie-pucerons/Pucerons-et-milieu/Pucerons-et-fourmis-mutualisme

  • Les prédateurs de pucerons :

https://www6.inra.fr/encyclopedie-pucerons/Pucerons-et-milieu/Antagonistes/Predateurs