Je sais que pour beaucoup, il n’est pas évident d’appeler une coccinelle par son nom scientifique (Coccinella septempunctata par exemple), ni de la classer parmi les coléoptères… Coléoptères ? Mais c’est quoi ce mot au fait ?? Hyméno- quoi ?? C’est pourquoi j’ai décidé d’éclaircir tout ça. Préparons nos petits cerveaux fumants car nous allons parler de la systématique1 qui n’est autre que la science de la classification des êtres vivants.cerveau_f

Notion d’espèce


Bon d’abord, on comprend instinctivement que l’homme appartient à une espèce différente du chat ou du chien ou du rouge-gorge. Ils ne se mélangent pas, ne se ressemblent pas, ne se reproduisent pas, et quand bien même ils le feraient, cela donnerait lieu à une descendance stérile.

La notion d’espèce est une notion ancienne mais qui est en constante évolution. La définition et la compréhension actuelle de ce concept est énoncée par Ernst Mayr en 19422.

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Ernst Mayr, naturaliste allemand du XXe siècle

« Une espèce est une population ou un ensemble de populations dont les individus peuvent effectivement ou potentiellement se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et féconde, dans des conditions naturelles. Ainsi, l’espèce est la plus grande unité de population au sein de laquelle le flux génétique est possible et les individus d’une même espèce sont donc génétiquement isolés d’autres ensembles équivalents du point de vue reproductif. »

Oui, mais il existe des cas de reproduction entre espèces différentes :

  • L’âne et la jument, par exemple, donneront naissance à un mulet.
  • L’ânesse et le cheval, à un bardot.
  • Le tigre et la lionne à un tigron.
  • Le lion et la tigresse à un ligron…
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Ligron (Panthera leo x Panthera tigris). Notez bien qu’il ne s’agit pas du résultat d’un accouplement observé dans la nature mais en captivité (le tigre et le lion ne vivent pas sur le même continent à l’état sauvage!)

Cependant, l’animal hybride, fruit de ces amours peu conventionnelles, sera généralement stérile, il ne s’agit donc pas d’une descendance féconde ! (Il en va de même pour les plantes).

Dans le monde scientifique, on utilise le nom scientifique international ou nom binominal. Ben, oui, c’est plus pratique, de pouvoir échanger des informations au sujet d’une espèce, au moins au sein de la communauté scientifique, en utilisant une dénomination validée par tous.

Ce nom est dit « binominal » parce qu’il est composé de deux éléments : le nom de genre suivi de l’épithète d’espèce. Le fait de nommer une espèce animale doit obéir à un certain nombre de règles édictées par le Code International de Nomenclature Zoologique. Cela n’empêche cependant pas certains découvreurs de nouvelles espèces de s’amuser un peu (je vous conseille d’ailleurs un article très drôle à ce sujet). À noter que ces règles sont légèrement différentes pour les plantes, les champignons et les bactéries qui possèdent leurs propres codes de nomenclature !

Voici quelques exemples de règles de nomenclature :

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Le nom d’espèce peut être complété par l’auteur et la date de description.

Il arrive que le nom scientifique soit amené à être modifié par une évolution de son classement taxonomique3 au cours du temps (par exemple, le nom de genre a été changé). L’auteur et la date apparaissent alors entre parenthèse. C’est le cas pour le renard roux d’abord appelé Canis vulpes Linnaeus,1758 puis Bodwich proposa un déplacement du classement de l’espèce dans le genre Vulpes en 1821 ce qui nous amène à mettre le premier auteur (Linnaeus) et la date de première description (1758) entre parenthèses :Nom-espece_renard_f

Mais à propos qui est ce Linnaeus ?? Bonne question ! Celui qui apparaît comme l’auteur de bon nombre de noms d’espèce n’est autre que Carl von Linné, naturaliste suédois du XVIIIe siècle, père de la nomenclature binominale et c’est également lui qui posa les bases de la classification classique des êtres vivants. C’est pourquoi au cours de sa vie il fit la description de près de 4400 espèces animales et 6000 espèces végétales !

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Linné, naturaliste suédois du XVIIIe siècle

Systématique


La classification classique des êtres vivants est tout simplement la première méthode de classement développée à partir des travaux de Linné. À défaut d’être une représentation exacte du monde vivant, elle est bien utile ! Oui, parce que nous sommes quand même bien perdus, si on ne peut pas organiser, classer, catégoriser notre savoir… Vous avez déjà joué au jeu des 7 familles ? Si si souvenez-vous « dans la famille foldingue, je veux la fille… » Hé bien, dans notre cas on dirait plutôt : « dans la famille des Canidae, je veux Vulpes vulpes (le renard roux)».

En fait, chaque espèce est classée au sein d’un genre, chaque genre fait partie d’une famille, chaque famille d’un ordre, cet ordre est contenu dans une classe, cette classe est une part d’un embranchement et plusieurs embranchements forment un règne ! (rien que ça).

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Les rangs taxonomiques pour la classification classique des êtres vivants (exemple avec le renard roux : Vulpes vulpes)

RECOFaGE, c’est un moyen mnémotechnique pour se souvenir de tous les rangs principaux de classification. On parle également de taxon pour désigner n’importe quel niveau de cette classification.

Cette classification a pour principe de rapprocher des espèces entre elles lorsqu’elles partagent des caractères communs. Par exemple, l’Homme et la baleine font tous deux partie de la classe des Mammifères car ils allaitent leurs petits. Donc on classe les espèces sur des critères morphologiques, physiologiques, embryologiques et plus récemment moléculaires et génétiques.

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Le rorqual à bosse (Megaptera novaeangliae) est un mammifère. La femelle allaite donc son petit.

La systématique1 a connu de fortes évolutions depuis Linné : d’une part parce que la théorie de l’évolution du très célèbre Darwin est passée par là; d’autre part, parce que les progrès en génétique ont permis de s’appuyer sur un nouvel attribut des êtres vivants : l’ADN.

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La classification en rangs taxonomiques est une représentation pratique mais trop simpliste de la réalité. Les méthodes de classification actuelles sont basées sur la phylogénie, c’est-à-dire sur l’étude de l’apparition et l’évolution des êtres vivants… et ça donne une représentation plus complexe qui est dite « buissonnante » !

Actuellement, on privilégie la méthode de classification phylogénétique4 qui se base sur la construction d’une histoire évolutive des êtres vivants. Elle part du principe qu’un groupe d’espèces n’est valide que s’il constitue l’ensemble des descendants d’un ancêtre hypothétique commun, on parle alors d’un groupe monophylétique5.

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Willi Hennig, entomologiste allemand du XXe siècle, père de la systématique phylogénétique

Cette classification reconnaît la validité de certains groupes taxonomiques tels que la classe des mammifères ou la classe des oiseaux mais elle rejette le bienfondé de la classe des reptiles ou encore des poissons, qui se sont révélés être des groupes paraphylétiques6, qui « oublient » une partie des descendants de ce fameux ancêtre commun. La classification phylogénétique4 (ou cladistique) ne conserve que les rangs « Espèce » et « Genre »  de l’ancienne méthode, les autres groupes étant nommés des « clades » (équivalent à un « taxon »). Oui, parce que cette méthode implique que les différents groupes monophylétiques ne peuvent pas être hiérarchisés.

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Arbre phylogénétique simplifié de quelques groupes zoologiques. Il traduit des relations de parenté entre différentes espèces, les nœuds de l’arbre représentant un ancêtre commun hypothétique pour l’ensemble des espèces issues des branches qui en découlent. Un nœud et ses descendants forment un groupe monophylétique.

Alors comment se fait-il que nous  parlions encore de « classe », d’ « ordre » ou de « famille » ?? Hé bien, l’utilisation des rangs taxonomiques classiques est souvent conservée pour des raisons tout simplement pratiques, mais il est possible qu’il s’agisse également d’un phénomène d’inertie… de résistance aux changements. Des réflexions7 sont actuellement à l’œuvre pour faire évoluer la nomenclature taxonomique vers un modèle plus conforme aux dernières avancées dans ce domaine. Toujours est-il que si vous êtes passionné de serpents, c’est bien un « guide des reptiles » que vous pourrez dégoter à la librairie !

Voilà ! Vous saurez maintenant pourquoi on parle de l’ordre des Coléoptères ou de la famille des Coccinallidae pour parler des coccinelles…


1La Systématique inclut l’identification, la nomenclature et la taxonomie des organismes. Elle constitue l’étude de la diversité des organismes.

2Mayr, E. Systematics and the Origin of Species, from the Viewpoint of a Zoologist. Harvard University Press, 1942.

3La taxonomie représente la théorie et la pratique de la classification des organismes. Ce mot provient du grec taxis (placement, classement, ordre) et de nomos (loi, règle). Un taxon est un groupe d’organismes considéré comme une unité dans une classification.

4La phylogénie est l’étude de la formation et de l’évolution des organismes vivants en vue d’établir leur parenté. La classification phylogénétique (ou cladistique) est une méthode de classification basée sur la phylogénie.

5Groupe monophylétique ou clade : Se dit d’un groupe comprenant un ancêtre commun hypothétique et la totalité de ses descendants connus.

6Paraphylétique : Se dit d’un groupe comprenant un ancêtre commun hypothétique et une partie seulement de ses descendants connus.

7Tillier Simon. Terminologie et nomenclatures scientifiques : l’exemple de la taxonomie zoologique. In: Langages, 39ᵉannée, n°157, 2005. La terminologie : nature et enjeux. pp. 103-116.


Pour aller plus loin :

  • Sur la notion d’espèce :

http://www7.inra.fr/dpenv/bardas10.htm

http://edu.mnhn.fr/mod/page/view.php?id=1967

  • Pour être sûr de trouver le nom valide d’une espèce terrestre en Europe :

http://www.fauna-eu.org/

https://inpn.mnhn.fr/accueil/index

  • Pour s’amuser un peu sur les noms d’espèces :

http://www.geo.fr/photos/reportages-geo/neopalpa-donaldtrumpi-la-mite-nommee-en-reference-a-donald-trump-169122

http://www.curioustaxonomy.net/

  • Exemples d’animaux hybrides :

http://www.topito.com/top-animaux-hybrides

  • Plus de détails sur la classification phylogénétique :

http://www.futura-sciences.com/planete/definitions/classification-vivant-arbre-phylogenetique-14442/

https://planet-vie.ens.fr/article/1925/classification-vivant-mode-emploi