Il y a quelques semaines, j’ai eu le plaisir de voir quelques-uns de mes articles partagés sur les réseaux sociaux par le Muséum d’Histoire Naturelle de Bordeaux ! J’en profite pour les remercier de l’intérêt qu’ils ont porté à mon modeste blog et aussi parce que cela m’a donné l’idée du présent article.
Il se trouve que c’est en y travaillant un été pour financer mes études que j’y ai appris une chose intéressante, je dirais même plus, une chose marquante, parce que je ne l’avais jamais soupçonnée (oui, oui lorsque vous saurez de quoi il s’agit vous pourrez me juger naïve mais il se pourrait bien aussi que vous compreniez ma surprise…)
Je ne saurais plus dire qui de Marie, Matthieu, ou même encore Laurent, m’apprit ce détail intéressant tout en me faisant parcourir les interminables rayonnages que cachent les réserves du Muséum. Nous étions observés par d’innombrables yeux en verre, entourés de poils, de plumes, de becs, de pointes, de crochets, de griffes, de peau, de carapaces, de pics et d’écailles, de fioles et bocaux aux reflets verdâtres mais également de squelettes, de dents et morceaux d’os en tout genre d’animaux disparus ou non, des témoignages du passé et du présent, ainsi que de coquilles de toutes les tailles et de toutes les formes, de boîtes à bébêtes, de vitrines, de tiroirs, de sachets zip, de papier bulle ou non, chips de maïs et cartons, des montagnes de minéraux précieux ou communs, translucides ou opaques, incolores ou de couleurs métalliques, brillantes ou mates…
Enfin, bref, je m’arrêterai là au risque de ne citer que le quart du tiers de ce qui a été rassemblé là dans le but de représenter l’immense diversité du vivant et de l’inerte.
C’est dans un tel décor que je fus présentée à deux oiseaux naturalisés1. L’un était paré de couleurs vives tandis que l’autre paraissait bien terne. « Certaines couleurs sont d’origine chimique, c’est pourquoi, elles se dégradent et disparaissent après la mort de l’animal, comme chez ce Pic épeiche dont les plumes rouges ont perdu de leur intensité. Les couleurs qui ont persisté après tout ce temps chez ce perroquet Ara sont d’origine physique » me dit-on ce jour-là.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les jolies couleurs de cette fleur que vous avez cueillie et séchée, aplatie entre les pages d’un livre avaient finalement disparues au profit de teintes ternes, ocre ou marrons ? Et pourquoi, cette plume de geai ramassée près d’un vieux chêne a-t-elle conservé tout son éclat bleu ?
Hé bien voilà, vous avez la réponse.
Quoi ? ça ne suffit pas ? Aaaah ben oui on est bien d’accord, alors voici la suite…
La plupart des couleurs du monde animal et végétal sont d’origine chimique. Vous avez tous entendu parler du prisme2 qui décompose la lumière blanche en un véritable arc-en-ciel ? (Si, si, il y en a bien parmi vous qui sont fans de Pink floyd !). Si ce n’est pas le cas RDV ici. L’apparence de la lumière blanche résulte de l’addition de l’ensemble des couleurs du spectre visible3. On associe chaque plage de couleur à des intervalles de longueurs d’onde exprimées en nanomètres (des tout petits morceaux de mètres).
Lorsque cette lumière blanche éclaire un objet ou un être, certaines longueurs d’ondes sont absorbées, les autres sont réfléchies. Les couleurs correspondants aux longueurs d’ondes non absorbées vont ainsi apparaître sur cet objet ou cet organisme…Vous me suivez toujours ? Besoin d’un dessin ?
Très bien, mais qu’est-ce qui fait qu’un objet ou un être « absorbe » ou non telle ou telle longueur d’onde ? Hé bien, prenons l’exemple du vert, cette couleur qui caractérise particulièrement le monde végétal. Je pense que tout le monde a entendu parler de la chlorophylle, ce pigment indispensable au processus de la photosynthèse4. Mais oui, les pigments ! Ce sont ces molécules chimiques qui absorbent certaines couleurs et diffusent ou transmettent les couleurs non absorbées.
Plus précisément, c’est quoi un pigment ?
C’est une molécule, c’est-à-dire un assemblage d’atomes élémentaires (Carbone, Azote, Hydrogène, etc…), mais c’est surtout une molécule de nature complexe : elle possède de nombreuses liaisons entre atomes et surtout des doubles liaisons… elle ne fait pas dans la simplicité ! On parle de « liaisons conjuguées »5 qui lui confèrent cette capacité d’absorption des radiations lumineuses (ne me demandez pas comment). La partie de la molécule capable d’absorber certaines longueurs d’ondes de la lumière est appelée chromophore. Et… je m’arrêterai là pour le cours de chimie.
En résumé, notre peau, nos cheveux, nos yeux, leurs poils, leurs plumes, leurs feuilles, leurs fleurs sont plus ou moins pourvus de pigments de différentes sortes qui absorbent la lumière visible et donnent l’apparence de différentes couleurs. Certains pigments sont amenés à se dégrader ou tout simplement à ne plus être synthétisés par le corps après la mort d’un organisme, d’où la perte de certaines couleurs.
Tout est une affaire de pigment. Tout ? Non ! Car nous percevons également des couleurs dont l’origine est purement physique ou « structurelle ». Celles-ci résultent d’une réflexion sélective ou de phénomènes d’interférence à la structure microscopique multicouche de l’objet.
Défroncez les sourcils ! La traduction, tout de suite, mesdames et messieurs sous vos yeux ébahis : ce type de couleur évolue selon l’angle avec lequel on observe l’objet, car ce que l’on perçoit dépendra de sa position par rapport à la lumière. C’est la micro-structure de la matière qui donne un aspect irisé en « jouant » avec la lumière. Oui, je vous avoue que ces phénomènes sont bien difficiles à expliquer, alors prenons quelques exemples :
Si l’on observe une aile de papillon à un niveau microscopique, on observera une myriade de petites tuiles, chacune munie d’ailettes. Ces structures peuvent prendre des formes qui entraîne une diffraction6 de la lumière, comme chez le Morpho bleu dont les tuiles ont une forme pyramidale. La lumière ainsi diffractée (ou décomposée) crée des couleurs en interférant avec les structures de la matière.
J’ai rencontré la chrysomèle fastueuse en forêt d’Aubrac il y a quelques années. Son iridescence est causée par la couche extérieure de la carapace composée de petites plaquettes orientées dans des directions variées. Les couches de plaquettes réfléchissent et diffusent7 les ondes lumineuses différemment selon leur longueur d’onde. Mais des pigments sont également présents et renforcent l’effet coloré.
Certains coquillages aux couleurs nacrées tels que l’ormeau ont une surface formée de plaquette de cristaux de carbonate de calcium à structure hexagonale. Ces plaquettes ont une épaisseur comparable à la longueur d’onde de la lumière visible, de sorte qu’elles créent des interférences lumineuses8 produisant l’aspect irisé du coquillage.
Plus familier, le paon mâle est pourvu de plumes à la structure cristalline en surface. C’est un processus optique appelé réfraction8, associé au phénomène d’interférence lumineuse qui lui confère ses couleurs chatoyantes. En fait, si on ne tenait compte que des pigments, le Paon serait noir !
De même, la couleur bleue très particulière du Martin-pêcheur résulte d’un effet d’optique provoqué par la décomposition de la lumière. Dans ce cas, de minuscules bulles d’air encapsulées dans les barbes et les barbules de la plume diffusent et renvoient les longueurs d’onde bleues.
Et les caméléons alors ? Certaines espèces sont capables de changer de couleur en fonction de leur environnement pour se camoufler mais aussi et surtout en fonction de son humeur : stress, combat, excitation… C’est une combinaison de couleurs pigmentaires et structurelles qui s’expriment chez cet animal. Il possède différentes couches de cellules, chacune concentrant des pigments différents. Un système de contraction ou de relâchement musculaire localisé autour de ces cellules permet de faire ressortir ou de dissimuler certaines couleurs. Mais là on s’éloigne un peu du sujet.
Rappelons, pour conclure (hé oui ça y est, c’est la fin de l’article, votre cerveau va pouvoir se reposer), que la couleur n’est pas une caractéristique propre à un objet ou un être. Elle dépend des outils de perception que possède l’observateur. Tout ce que j’ai pu décrire ici est valable pour les humains parce que notre rétine est constituée de telle manière qu’elle ne traite que les informations lumineuses du spectre visible (entre 400 et 800 nm environ). Mais visible pour qui ? Moralité : Il est toujours utile de se rappeler que nous percevons notre environnement à travers un filtre déformant qui nous est propre…
Définitions :
1Naturaliser : Empailler. Traiter les dépouilles d’animaux ou les végétaux de manière à conserver leur apparence naturelle.
2Prisme : Un prisme optique est un bloc de verre taillé, composé classiquement de trois faces sur une base triangulaire. C’est un instrument optique utilisé pour réfracter la lumière, la réfléchir ou la disperser.
3Spectre visible : On appelle lumière visible ou spectre visible, la partie du spectre électromagnétique qui est visible pour l’œil humain. Il n’y a aucune limite exacte au spectre visible, mais généralement, on considère que la réponse de l’œil couvre communément les longueurs d’ondes de 400 nm à 800 nm environ.
4Photosynthèse : Processus indispensable à la vie dans le monde végétal, la photosynthèse c’est la fabrication de matière organique à partir de l’eau et du CO2 absorbés par la plante grâce à l’énergie lumineuse. La lumière est absorbée par les pigments de chlorophylle contenus dans les feuilles et convertie en énergie chimique.
5Liaisons conjuguées : En chimie, on dit que des liaisons sont conjuguées lorsqu’une molécule comporte sur sa chaîne carbonée une alternance de liaisons doubles et de liaisons simples. La succession de liaisons conjuguées apporte une stabilité aux systèmes chimiques : elle abaisse leur énergie. D’autre part, elle modifie l’intervalle de longueur d’onde des rayonnements absorbés.
6Diffraction de la lumière : La lumière qui vient frapper un objet peut être diffractée si elle rencontre une ou plusieurs fentes qui vont entraîner l’étalement des couleurs qui composent la lumière. Cet étalement est plus ou moins important en fonction des dimensions de la fente. L’opale est un exemple typique de la diffraction de la lumière, ce n’est plus une couleur que l’on perçoit mais un véritable chatoiement de myriades de couleurs.
7Diffusion de la lumière : La diffusion est la propriété de la matière finement divisée de disperser la lumière dans toutes les directions. L’observateur perçoit donc des combinaisons de lumière qui émanent de nombreuses sources. La diffusion dépend fortement de la forme des particules « diffusantes » et de leurs tailles.
8Réfraction : le phénomène de réfraction est la déviation d’une onde lorsque la vitesse de celle-ci change entre deux milieux. Typiquement, cela se produit à l’interface entre deux milieux. C’est le cas chez le paon lorsque la lumière traverse une fine couche transparente en surface du plumage. La plume de paon est constituée de plusieurs couches à travers lesquelles des rayons lumineux de même longueur d’onde réfractés vont interférer ce qui confère un aspect irisé au plumage : on parle d’interférence lumineuse.
Vous trouvez que le sujet est à peine creusé et vous êtes friand de détails et de digressions ?
Et la couleur du ciel ? du soleil ? de la neige ? et si on faisait une petite expérience concrète ?
En Vidéo :
« la vision des couleurs » (7 min)
Voyons nous tous les mêmes couleurs ? (4 min)
Vous n’êtes pas effrayé le moins du monde à la vue de formules chimiques et de concepts physiques abstraits ?
Les composés chimiques organiques et leur couleur
Passionnant cette histoire de couleurs Lisa!
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Merci Colette !!
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Bonjour Lisa,
J’ai découvert ton site et ton blog en dînant samedi soir avec ma cousine, une certaine Jeannette, artiste multitâches !!!!
Ton site est superbe et j’aimerais acheter des cartes postales, mais bien sûr je n’ai pas su trouver comment.
Peut-être peux tu me répondre directement sur mon adresse mail.
Je t’embrasse,
Claire
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C’est toujours un plaisir que de découvrir un nouvel article passionnant comme d’habitude. Nous ne pourrons plus regarder autour de nous de la même manière ! Certaines couleurs peuvent disparaître certes, mais vos aquarelles sont une référence qui ne va pas s’éteindre de sitôt ! Et lorsque je passerai de la couleur sur les miennes, j’en aurai une autre approche.
C’est vrai aussi que pour la pie, que l’on dit noire et blanche, elle peut être grise ou bleue selon notre angle de vue. Merci pour le votre, toujours aussi performant. A bientôt !
Eve
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Merci à toutes pour vos commentaires si chaleureux ! 😀
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Coucou Lisa! Le vivant est une intarissable source d’inspiration et de connaissance, j’ai encore appris plein de choses grâce à toi! Je n’avais jamais réfléchi à la question et je n’imaginais pas que les sources de couleur non pigmentaires étaient si nombreuses et fréquentes.
Bises,
JB
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Coucou JB, merci ! Toujours contente de savoir que l’article a été utile et apprécié !! Bises 🙂
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Bonjour je découvre votre article par hasard et vraiment je suis bien contente de connaître la raison du pourquoi certaines des fleurs de mon herbier gardent leur couleur et d’autres non. Je pensais avoir loupé le séchage je recommençais mais rien à faire! Alors un grand merci.
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Merci à vous ! Heureuse d’avoir contribué à vous déculpabiliser sur le séchage de votre herbier ;-D
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Merci beaucoup. J’ai ramené un morceau d’ormeau de NZ transformé depuis en pendentif . Je cherchais l’explication précise à la décomposition des couleurs, je l’ai eu 🙂
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